Article dédié à l’ensemble des greffiers courageux et en particulier à Julien S., qui fut greffier auprès du JLD de Nice, et au Bâtonnier Dominique CESARI.
La profession de greffier est parfois méconnue du grand public. Pourtant, le greffier est essentiel à la Justice et garantit la sécurité du Justiciable et de l’Avocat. Cette affaire relate à quel point le greffier est un rempart précieux pour garantir la Justice.
ACTE 1 : JUGE VITE, JUGE MAL
Maître ROMERO intervenait pour une personne qui avait détourné une importante somme d’argent à son employeur (environ 1,8 million d’euros) pour assouvir son addiction aux casinos.
Le Procureur de la République souhaitait que ce dossier soit jugé rapidement et il avait fait le choix d’une comparution immédiate (dès la sortie de la garde à vue, le suspect est présenté devant le Tribunal pour être jugé). Malheureusement, le dossier était incomplet puisqu’il paraissait peu probable pour la partie civile que toutes les sommes détournées aient été réinvesties dans les casinos sans que ces derniers ou les banques n’aient procédés à des déclarations anti blanchiment.
Le dossier était donc renvoyé devant une Juge d’instruction.
ACTE 2 : UNE JUGE DE DETENTION D’INSTRUCTION
La Juge d’instruction saisie en 2018 souhaitait que l’auteur de l’infraction soit incarcéré et saisissait le Juge des libertés de la détention. Ce Juge considérait que les critères de la détention provisoire n’étaient pas réunis et plaçait l’auteur sous un contrôle judiciaire strict avec diverses obligations (une dizaine) dont notamment le versement d’un cautionnement de 35.000 € sous trois mois.
Malheureusement, l’auteur de l’infraction ne parvenait pas à réunir la somme de 35.000 € puisque sa famille était réticente à l’aider et l’ensemble des banques contactées refusaient de lui accorder un prêt.
Nous demandions alors que cette obligation soit modifiée. La Juge d’instruction refusait tout comme la chambre de l’instruction. La juge d’instruction prenait alors un mandat d’amener pour que le mis en examen soit incarcéré en saisissant de nouveau le Juge des libertés et de la détention (JLD).
ACTE 3 : L’INCIDENT ET LE COURAGE DU GREFFIER
La Juge d’instruction avait visiblement peu apprécié que la personne ne soit pas incarcérée par le JLD en tout début d’instruction. En dépit des textes, elle considérait qu’elle n’avait pas à apprécier l’absence de versement du cautionnement en remplaçant cette obligation par une mesure plus stricte comme l’assignation à résidence bracelet électronique.
Le mis en examen se retrouvait donc de nouveau devant un autre JLD.
Ce dernier faisait preuve d’un mépris flagrant à l’égard du mis en examen et revenait en prenant tout juste le temps de s’asseoir pour dire seulement les mots « mandat de dépôt ». Le mis en cause repartait en prison. Les Juges des libertés (JLD) font souvent preuve d’humanité en expliquant leur décision afin que le choc de la mesure, qui doit être parfois prononcée, soit moins violent. Ce Juge visiblement souhaitait ajouter une brutalité à la décision sans que l’on puisse comprendre le but de ce comportement.
Le Juge quittait d’ailleurs la salle d’audience avant même que le mis en examen et son avocat ne signent sa décision.
Il faut s’avoir que l’avocat a la possibilité de contester immédiatement la décision par un appel qui doit être constaté par le JLD. Or, ce Juge refusait de constater l’appel, c’est-à-dire refuser l’application des articles 187-1 et 2 du Code de procédure pénale relatif aux « référés liberté ».
A ce moment, Maître ROMERO se trouvait donc bloqué et interrogeait le greffier avant d’envisager un véritable incident.
Les paroles de Maître ROMERO à l’attention du Greffier étaient de cet ordre : » Monsieur le Greffier, je suis bloqué parce que je ne peux pas exercer une voie de recours car le Juge est parti avant même que l’on puisse signer l’ordonnance. Donc, soit vous acceptez de confirmer cette situation et j’appelle mon Bâtonnier, et je comprends que ce soit difficile parce que vous travaillez tous les jours avec ce JLD, soit, vous refusez et j’arrête l’incident tout de suite. »
Le Greffier Julien S. répondit : « Maître, appelez votre Bâtonnier, j’appelle mon Directeur de Greffe ». Le ressenti à cet instant est assez indescriptible pour le verbaliser.
L’incident se déroulait jusqu’au bout… appel du Bâtonnier, échange avec le JLD en présence du Bâtonnier CESARI, échange avec le Président du Tribunal judiciaire de Nice. Le JLD, après avoir démontré au-delà du nécessaire son incompétence et son mépris des avocats en présence du Bâtonnier maintenait son refus d’appliquer les textes (et de constater l’appel).
En raison certainement de cet incident qui a privé la défense d’exercer une voie de recours, la chambre de l’instruction infirmait la décision du JLD en remettant le mis en cause en liberté avec un contrôle judiciaire et le versement du cautionnement en une fois devait se faire en des mensualités de 500 € par mois.
Le mis en cause restait donc une dizaine de jours en prison, juste le temps de perdre son emploi.
EPILOGUE
1. Durant son contrôle judiciaire, l’auteur de l’infraction ne manquait à aucune de ses obligations et parvenait à rassembler la somme de pratiquement 30.000 euros. L’auteur de l’infraction était condamné le 06 octobre 2023 pour les faits de 2018… à trois ans d’emprisonnement dont un an avec sursis probatoire. Il ne retournait pas en prison mais était contraint de continuer l’indemnisation des victimes avec un bracelet électronique. Un équilibre était trouvé car il indemnisait les conséquences de l’infraction et était sanctionné.
2. En dépit des demandes faites par Maître ROMERO, la Juge d’instruction n’enquêtait pas sur la responsabilité des casinos ou des banques qui avaient vu passer plus 1,8 million d’euros sans faire une seule déclaration à TRACFIN sur le blanchiment…
Lors du seul interrogatoire – pour la forme… – du mis en cause, la Juge d’instruction lui remettait plusieurs carnets de chèques et deux cartes bancaires alors que les détournements avaient été réalisés par l’utilisation frauduleuse de comptes bancaires. Cette remise laissait l’ensemble des professionnels du droit assez incrédule lors de l’audience de jugement…
3. Le Juge des libertés et de la détention qui avait refusé d’appliquer les textes prenait sa retraite.



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